Le pays tourne encore au ralenti mais déjà la plus grosse partie de l’équipe a fait sa rentrée. Ca relit, ça commente et ça corrige. Déjà, il me faut penser à l’éditorial du numéro 11.
Déjà ? Oui.
J’attache de l’importance à l’édito et je ne veux pas me retrouver dans la situation de remplir d’un jet, dans l’urgence de la diffusion, cet espace en principe consacré à la prise de recul.
L’édito est un exercice de style un rien casse-gueule. Il peut consister en une mise en évidence du contenu mais il y a aussi le sommaire pour ça et notre pagination modeste ne justifie pas qu’il faille attirer l’attention des lecteurs sur des textes auxquels nous attacherions plus d’importance.
Il peut également, et je dirais même qu’il doit, remettre en perspective la ligne éditoriale vis-à-vis de l’actualité ou de tendances sur le long terme. Pas facile. D’avoir des choses intéressantes à écrire. D’avoir un avis pertinent sur tout.
L’actualité, c’est la mort programmée des Editions Icare et on ne va tout de même pas passer sous silence la disparition d’un autre éditeur à taille humaine.
Je vous le reproduis ici l’annonce des Editions Icare :
Chers amis/ies des Editions Icare,Je me présente devant vous porteur d’une nouvelle fort difficile à exposer, néanmoins j’ai à cœur de faire en sorte d’expliquer au mieux les raisons qui me poussent à le faire. En ce jour j’ai la tristesse de vous annoncer ma décision de fermer les éditions Icare à la fin de l’année 2016…
Cette aventure de neuf années fut pour moi une source incroyable de passion, de plaisir mais aussi de fierté, cependant en ce jour différentes causes me poussent à y apposer le point final. La première de ces raisons est personnelle. Comme je le disais, voilà neuf ans que je me bats contre vents et marées pour sauver du naufrage ce frêle esquif, j’ai bien heureusement compté à mon bord de fiers et courageux matelots qui m’ont aidé à la tâche (soyez en mille fois remerciés), mais aujourd’hui je dois avouer me sentir exténué par ce marathon solitaire. J’aspire à prendre un chemin de vie différent, pas forcément radicalement différent, mais nécessitant un investissement moins absolu. Publier des jeux de rôles de nos jours ce n’est pas une chose aisée, le faire seul durant une décennie c’est un outrage au bon sens.
Le second point qui me conforte dans cette décision est d’ordre économique. Vous le savez certainement, les éditions Icare n’ont jamais été solvables. Jamais. Pendant les premières années, j’ai compensé les pertes sur mes fonds propres, jusqu’à atteindre ma propre limite financière. A cette période, le crowdfunding a fait son apparition et comme beaucoup j’y ai vu une bouée de secours. Effectivement ce nouveau système a permis de redynamiser les éditions, de publier des nouveautés, et en soi cela est déjà providentiel. Néanmoins les campagnes de financement d’Icare n’ont jamais connu de succès retentissant, couvrant souvent le juste nécessaire. La trésorerie n’a donc pas bénéficié d’une manne, et malheureusement les ventes ne couvrant pas les frais généraux, les financements participatifs ont en partie dus être utilisés au fonctionnement pur et dur de la maison. Cette situation a entrainé une dépendance de trésorerie à l’égard du financement participatif, un nouveau projet terminant de payer les frais de l’ancien. Ce système, bien que vicié, peut fonctionner, je pense d’ailleurs ne pas être le seul piégé dans cette configuration, et il a fonctionné pendant deux ans. Mais que se passe-t-il lorsque l’on décide de s’arrêter ? Et bien, on se rend compte que le trou de trésorerie n’a pas disparu, qu’il était juste camouflé par le flux tendu de l’activité. Tout cela pour dire que les éditions Icare ne sont pas rentables, et que j’ai pris la décision de cesser de me persuader du contraire avant d’y perdre ma chemise.
Voilà en quelques mots, les principales raisons qui m’amènent à renoncer aujourd’hui. Cependant, ce que je retiens avant tout de cette aventure, ce sont des moments inoubliables et d’une valeur humaine sans précédent. L’énergie impressionnante de Sébastien, l’enthousiasme communicatif de Quentin, la confiance respectueuse de Julien, la passion vissée aux chevilles de Denis, la vision inaliénable de Tony et Guillaume, l’humour et surtout la bienveillance du Tlön, la perspicacité de Vivien et la modeste virtuosité de Yann (son compagnon de pinceau), le caractère bien trempé d’Emmanuel (nous avons commencé à sagaies tirées pour nous retrouver à goûter à une réelle relation de confiance autour d’un feu), la foi utopiste de Liberté, et bien entendu je pense aussi à tous ceux qui m’ont rejoint sous la bannière du grand roi, les sires Vincent (artiste au combien sous-exploité et homme d’au combien de mérite !), Stephan et François, ainsi qu’à l’enchanteur à l’amitié témoignée, Merlin Mahyar. La liste est longue et je ne puis évoquer tous ceux que j’ai croisé lors de ces longues années, mais merci à toi organisateur, membre du staff, passionné passionnant et passionné barbant, merci à toi celui qui m’a félicité quand le moral était bas, ou m’a critiqué quand il était trop haut, merci à toi bienveillant, célèbre du microcosme ou anonyme du grand tout, merci à toi lecteur, merci à toi.
Cette aventure représente plus d’un quart de ma vie, comme un premier amour, je ne saurai l’oublier, et pourtant, comme un premier amour, je sais que je devrais en faire le deuil, le mûrir et s’avoir m’en souvenir sans regret, pour atteindre ma propre harmonie. Ne soyons pas triste, la roue a fait un tour complet et se prépare en silence à en entamer un nouveau.
Mes très sincères amitiés.
Jean-François Morlaës